Trouver le sommeil n'avait pas été chose facile. Disons que j'avais l'esprit ailleurs. Quelque part dans les rues de Napier où ma vie avait changé. J'avais encore du mal à y croire mais pourtant, ce n'était pas un rêve. Sous mes yeux, ma sœur s'était transformé en rapace. Sans crier gare. Comment ? Pourquoi ? Tant de questions qui restaient sans réponse pour le moment. Mais il fallait le dire, tout cela était trop étrange pour être vrai. Je vivais un cauchemar. Mais ça me paraissait impossible. J'avais essayé à maintes reprises de me pincer et j'avais senti la douleur à chaque essai. Non, tout était réel. Mais alors où nous trouvions-nous ? En enfer, peut-être ? Telle était notre punition pour avoir osé nous enfuir de chez nous. Le sort s'acharnait. Et si ma sœur avait été touchée, rien ne semblait dire que tout était terminé maintenant. Je pouvais également être maudite à tout jamais, non ? Alors je n'arrivais plus à dormir correctement. Je m'endormais quelques minutes, persuadée que quelque chose pouvait arriver à tout moment. Être transformée. Souffrir. Mourir. Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre. Alors j'attendais. Mais rien ni personne ne venait me chercher. J'avais finalement réussi à fermer les yeux très tard dans la nuit. La fatigue l'avait emportée. Je ne pouvais plus lutter, il me fallait me reposer. Et lorsque je m'étais éveillée en sursaut, je demeurais exactement la même. Je restais Lucrèce, encore et toujours. Mes paupières étaient lourdes. Mais je n'arrivais plus à vider mon esprit afin de m'endormir sans tracas. Alors je devais de me lever. Pas d'autre choix. J'enfilai un pyjama et j'ouvris la porte de ma chambre afin d'en sortir une bonne fois pour toutes. La lumière du couloir m'aveugla tout d'abord et une fois habituée, je me dirigeai vers la cuisine. Mes pas résonnaient dans le silence. Ma sœur devait sans doute prendre son petit déjeuner à cette heure. Mais Noah n'était pas là. Il devait être parti au travail. Ce n'était pas plus mal, j'avais besoin de me retrouver seule avec Rose. Elle avait besoin de moi et je voulais l'aider à traverser cette épreuve. Depuis l'autre soir - le soir où elle avait été maudite, elle agissait bizarrement. Mais je ne pouvais pas lui en vouloir. C'était trop de poids sur ses frêles épaules. J'arrive enfin dans la cuisine. Je ne me suis pas trompée, ma sœur s'y trouve. Elle me semble perdue dans ses pensées mais elle relève la tête en me voyant arriver. Elle lève sa tasse de café pour me dire bonjour, avale sa gorgée. « J’te sers un chocolat ? ». Elle me connait bien. J'accepte. Je finis par m'asseoir en face d'elle sans prononcer le moindre mot. Mais je la dévisage. Comment va-t-elle ? A-t-elle dormi ? A-t-elle une fois de plus pleuré ? Ma pauvre Rose. Je ne sais que faire pour elle. Je suis impuissante.

Fort heureusement, mon air endormi cache les apparences. Ma sœur me pense simplement perdue dans mes pensées. « Tu as prévu quoi pour aujourd'hui, little bunny ? ». Je souris. J'adore lorsque ma sœur bien aimée m'appelle ainsi. Elle m'a surnommé ainsi alors que je n'étais encore qu'un bébé. Et je trouve cela terriblement affectueux. Je lève les yeux vers elle mais cette fois, Rose remarque mon air inquiet. Je déglutis. « Je ne sais pas trop ... Les boutiques, ça te dirait ? ». Seule façon de lui changer les idées, à mon avis. Nous adorons traîner en ville et faire du lèche vitrine. Mais aucune de nous n'a le cœur à ça en cette belle matinée. J'ai simplement envie d'évoquer la malédiction avec elle. La rassurer que peu importe les conséquences, je serai toujours là pour elle. Après tout, elle est ma sœur aînée. Elle contourne la table et vient se poser à mes côtés. Elle pose ensuite sa main sur ma joue et murmure ces quelques mots. « Ca va aller ». J'ai tellement de mal à la croire. Je ferme les yeux et soupire profondément. J'aurais préféré être touchée à sa place. Mais c'est ce qui aurait pu arriver en réalité. Si nous n'avions pas fait ce jeu stupide et que je n'avais pas perdu. Si je n'étais pas partie chercher la voiture, nous aurions pu être touchées toutes les deux. Cela aurait été plus facile pour elle, je pense. Même si elle préfère me savoir hors de danger maintenant. Je la regarde rejoindre sa place. Je pose ma tête sur mes bras. Il faut que j'en parle. Je n'arrive plus à faire comme si rien ne s'était passé. « Tu es sûre ? Ne dis pas ça pour me faire plaisir. Je sais que tu as du mal à te faire à ta nouvelle ... Condition. Mais je suis là si tu veux en parler ». Que dire de plus ? Je ne sais même pas si Rose a envie de réellement évoquer sa transformation en rapace. Elle préfère peut-être oublier et aller de l'avant. Comme si tout cela n'était qu'un rêve. Mais non. Nous ne pouvons plus faire marche arrière maintenant. La machine est lancée. La malédiction a choisi sa cible. Il faut faire avec.